A loft story

Publié le par Lucien


















 Pour le réveillon, comme d’habitude, je n’avais rien de prévu à quelques jours de la date fatidique et je dois dire que, chaque année à cette époque-là, ce sempiternel problème existentiel de savoir où et avec qui se retrouver à cheval sur l’an passé et l’an prochain commençait sérieusement à me bassiner.

Evidemment je refusais direct les propositions émanant de mes collègues de bureau toutes plus déprimantes les unes que les autres et excluais d’office toute sortie en restaurants ou en boîtes, même si la soirée «Eyes Wide Shut» organisée par Connexion au Château Rose de Grimaud aurait sûrement valu son pesant de cacahuètes.
J’ai déjà commis l’erreur par le passé de fêter un réveillon en boîte à touze et je dois dire qu’à choisir sur une échelle de déprime suicidaire, je préfère encore aller guincher comme un con toute la nuit avec Anne-Charlotte et Sandrine dans un karaoké sordide derrière la gare SNCF de Juan-Les-Pins.
Se forcer à rouler des pelles de minuit à des inconnues en train de se frotter à des barres pour réchauffer le dessert, pendant que leurs gros porcs de mecs se font décongeler la bûche, non merci, sans moi.

 Alors que je commençais à me préparer à l’idée de passer le réveillon à me faire une nuit blanche devant la télé en me repassant l’intégrale de Gaspard Noé en DVD,bonus compris, un coup de fil de jg me fit changer d’avis.
Celui-ci, dans le même état d’indécision que moi, avait choisi de prendre les devants en invitant tous ses potes esseulés pour une party dans son loft niçois.
Entendre jg me parler de party me mis l’eau à la bouche vu que la dernière fois qu’il en avait organisée une chez lui, ça s’était rapidement transformé en immense lupanar.
Autant dire que party dans son jargon n’était pas vraiment à prendre dans son étymologie britannique, mais que cela sonnait bel et bien comme une abréviation du mot partouze.
D’autant plus quand il me communiqua oralement la liste des convives.
Ce vieux pervers avait tout prévu avec quelques couples mais surtout une grosse majorité de célibataires dont pas mal de nanas qui faisaient plus ou moins partie de la longue liste de ses ex.
C’est toujours bon de compter parmi ses plus proches amis un gars de la trempe d’un Pierre-Arnaud Jonard.
J’appris aussi qu’il m’avait automatiquement classé dans la catégorie «couple» sans me demander mon avis, ce qui signifiait que O était cordialement invitée à m’accompagner.
Seul petit bémol, même si je m’en doutais un peu et que je commençais à y être habitué, il m’avait également mis dans la catégorie «DJ», dont j’étais malheureusement le seul représentant.
Il allait falloir à nouveau, non seulement mélanger le boulot et le plaisir, mais surtout, j’allais devoir passer la soirée à caler mes vinyls d’un œil tout en surveillant ma compagne de l’autre.
Autant dire, pas un réveillon de tout repos.

 O et moi sommes arrivés chez jg relativement tôt, vers 19 heures, intendance oblige, vu que j’étais censé être responsable de l’agitation des corps en milieu humide.
Le maître des lieux avait tout prévu et, comme à son habitude, avait soigné ses convives par une organisation aux petits oignons.
La seule participation qu’il avait requise outre d’amener son corps sain et son esprit malsain, était une bouteille d’alcool fort ou de Champagne.
Nous avons opté pour les deux vu que nous étions deux, et cela bien sur en plus de la centaine de vinyls que j’ai dû me coltiner.
Heureusement d’ailleurs qu’il y avait un ascenseur car le loft de jg se trouve au dernier étage d’un immeuble cossu du centre de Nice.
En plus d’un immense salon, il possède tout un tas de petites pièces et de couloirs exigus, une magnifique cuisine équipée ultra design et surtout une superbe terrasse sur le toit, dominant la ville à 360 degrés.
Autant dire, de quoi en rendre plus d’un jaloux et plus d’une amoureuse.

 Jg est ce qui s’appelle un éternel célibataire, mais pas le genre incasable à la Anne-Charlotte, ni le genre coureur forcené à la Jean-Luc.
Non, plutôt, une espèce d’esthète épicurien avec un charme fou et qui n’a aucun mal à se retrouver avec une fille différente, voire plusieurs, tous les soirs dans son lit.
Il suffit de voir son carnet d’adresses et sa liste de conquêtes pour en avoir le tournis.

 Les convives commencèrent à arriver vers 20 heures dans des tenues rivalisant d’élégance et de glamour chic.
Heureusement pour nous, nous en connaissions la grande majorité, mais depuis la dernière party, jg s’était quand même débrouillé pour en inviter de nouveaux ce qui donnait un peu de sang neuf à l’affaire.
Outre la cohorte d’ex, dont certaines étaient même devenues amies entre elles, il y avait des potes de fac de jg et moi, pas mal d’artistes locaux, musiciens surtout dont ce cher Ant qui m’avait trouvé le plan aux Hespérides, quelques Japonais exilés en goguette que jg fréquentait régulièrement en bon amateur d’art moderne nippon qu’il est, aucun collègue à lui, pour les mêmes raisons que moi, et quelques voisins avec qui il avait sympathisé depuis qu’il avait emménagé.
Bref, vers 22 heures, après que tous soient arrivés, nous étions une bonne cinquantaine à essayer de remplir ce volume de 200 m2 que jg avait mis à notre disposition.

 Les tables basses regorgeaient de buffets copieusement garnis à base de curiosités exotiques dont jg était friand, le bar était largement achalandé, de quoi tenir un siège jusqu’au petit matin, et la musique commençait à frapper fort, la phase de "warm-up" ayant été relativement brève.
Je ne m’étais pas embarrassé à me charger de galettes "downtempo", et j’avais plutôt opté pour une formule efficace et allégée, pour aller droit à l’essentiel.
Dans ce genre de soirées, les gens ne viennent pas pour jouer les mélomanes, ce qu’ils veulent c’est du gros son, des basses qui tapent, des riffs accrocheurs et de quoi se faire exploser la tête, point barre.
Justement, jg avait dû passer récemment chez son dealer attitré de l’Ariane vu l’étalage de stupéfiants divers et variés qui traînait sur les tables.
Il y en avait pour tous les goûts et on se serait cru dans un stand de dégustation du dernier salon de l’amicale des trafiquants de Caracas.

 Un peu avant minuit, quasiment tout le monde dansait déjà à cheval entre le salon et la terrasse panoramique, les yeux extasiés et les narines saupoudrées.
Je m’amusais à les rendre dingues en vrillant leurs cerveaux avec de longues plages répétitives de techno minimale, alternées de passages plus sensuels de néo-disco.
A minuit, tous les convives étaient déjà sur la terrasse à moitié à poil malgré la nuit glaciale, l’alcool et la came masquant toute sensation de froid et au moment des douze coups, je balançais le «Burnin’» des Daft en version longue pour rappeler l’ambiance de leur clip enflammé.
O vint me souhaiter la bonne année, mais je voyais à sa démarche chaloupée et approximative qu’elle avait déjà goûté un peu à tout.
Après elle, tous les invités vinrent me congratuler à leur manière, même si certains eurent du mal à se traîner jusqu’aux platines.
J’en ai même eu un qui faillit me gerber du poulet au curry à la sauce Jack Daniel’s plus amphets sur le dernier single de Metro Area que j’avais eu un mal fou à dénicher.
Si par malheur il avait atteint sa cible, je crois bien qu’il aurait vite décuvé en descendant les huit étages directement par dessus la balustrade de la terrasse.

 Vers 2 heures du matin, un bon quart des participants était déjà «out of order» et comatait dans des canapés ou à même le parquet.
D’autres courageux continuaient à déchaîner leurs corps sur mes rythmes endiablés.
Et le reste avait disparu du salon et de la terrasse et devait s’occuper dans des pièces plus propices.
Par curiosité, j’enfreignais mon éthique personnelle en passant discrètement un CD mixé d’Optimo afin d’être tranquille une bonne demi-heure, ce qui me permit entre autre d’enfin aller pisser.
Comme prévu, ça baisait dans les piaules, ça baisait dans la salle de bains et ça baisait même dans les chiottes, ce qui était moins cool.
Je fus donc obligé d’aller me soulager discrètement contre le mur de plantes grasses exotiques que jg faisait amoureusement pousser sur son toit-terrasse, et même là, je fus à deux doigts de me vider sur un couple en pleine action qui avait eu la même idée que moi pour s’isoler un peu du reste de la meute.

 En revenant à l’intérieur, je partis à la recherche de O que je n’avais quasiment pas revu depuis minuit.
Elle n’était pas dans le salon parmi les amas de corps inanimés vautrés dans les sofas.
Elle n’était pas non plus dans la salle de bains qui avait été réquisitionnée par la communauté japonaise, culte de l’hygiène avant tout.
Elle n’était pas non plus dans les deux ou trois chambres, bien que j’eus un mal de chien à reconnaître les membres composants les mêlées ouvertes formées sur chacun des lits.
Pas de O non plus dans la cuisine où jg était en grande discussion technique avec Ant sur les derniers logiciels de séquençage audio pour Macintosh, une grappe de filles pendue aux bras de chacun.
J’en profitais pour leur demander s’ils savaient où elle se trouvait mais visiblement j’avais l’air de les déranger dans leur débat sur les plug-in accessibles en freeware.
Au moment où je m’apprêtais à reprendre la main aux platines, je vis O sortir des chiottes, seule, mais avec la mine des grands soirs et le total look trash.
Les pupilles dilatées, les muqueuses explosées, l’haleine alcoolisée, les fringues froissés, je préférais ne pas connaître l’historique de sa soirée.
Tout ce que je sais c’est qu’en passant devant une chambre, un mec que je ne connaissais pas, un musicien du groupe de Ant je crois, interpella O en lui demandant de revenir se joindre à eux.
Je proposais à O de faire son choix, mais elle était trop défoncée pour comprendre quoi que ce soit.
Comme il était déjà 3 heures du matin et que les danseurs avaient désertés le salon, j’en profitais pour recharger la platine multi-CD avec d’autres CD mixés longue durée, je remballais tous mes vinyls dans mon flight-case et j’allais remercier le maître de cérémonie qui était encore avec Ant dans la cuisine à lui refourguer des adresses de sites proposant des banques de samples.
Il s’interrompit pour me congratuler chaleureusement pour ma contribution à la réussite de sa soirée et me proposa de me dédommager avec quelques échantillons de son stock perso.
Je lui répondis que j’avais déjà assez à faire entre mon flight-case rempli jusqu’à la garde dans une main et le corps inanimé de O dans l’autre.
Avant de partir, il me demanda si je m’étais bien éclaté.
Je lui fis comprendre que j’aurais préféré qu’il loue un DJ, que ça m’aurait permis d’en profiter plus, et surtout que ça m’aurait évité de retrouver O dans cet état-là.
Je vis alors jg et Ant se regarder, contrariés mais avec un petit sourire en coin qui en disait long.
Visiblement, il y en a au moins une qui aura bien démarré la nouvelle année…

Publié dans Mixages

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L
et une fan de plus!! une!!<br /> Que du bonheur!! j'adore ta façon  d'ecrire et décrire! ;-) j'en souris encore...<br /> Je re-viendrai sans conteste lire la suite de tes commentaires!<br /> au plaisir...!<br />  <br />  
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J
Salut,<br /> Ravi que tes amis soient de ma trempe. Vous m' invitez à vos prochaines soirées ?<br /> Pierre-Arnaud Jonard
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L
Chiche !
E
Y a de la bonne grosse pimp' attitude sur ce blog, tu gagnerais à être connu, j'adore ! ;)
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L
Merci, mais c'est quoi au juste une "bonne grosse pimp' attitude" ?
S
ah ben non ; je ne suis pas ironique !! tu as quand même l'air d'être une star dans ton royaume !! non ?? enfin, moi je veux bien un autographe !
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L
Quel royaume ?J'ai du rater un épisode moi !Va falloir que je me relise ......Non, je ne vois pas !A part pour O, je ne suis une star pour personne je crois...Ou alors pour toi à la rigueur...
L
UNe star .... mais bon pas de nouveau post !!!<br /> elle reflechi la star ???
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L
Non, elle décuve !Patience, nouveau papier en préparation.Ca va être du lourd,  moi je vous le dit...