Un oeil grand ouvert sur Kubrick
Non, ce n’est malheureusement pas une vue de mon bureau, même si parfois, je m’assimile à Jack Torrance, ici de dos, lorsque je recherche le silence absolu, la nuit, devant mon Powerbook, à la recherche de l’inspiration divine.
Je voudrais apporter un éclairage personnel sur l’univers de Kubrick, en me plaçant sous l’angle de ce qui reste, pour moi, son meilleur film, The Shining.
En effet, à force de traîner sur des sites «pour adultes», j’ai l’impression que la plupart des gens résument l’œuvre du maître à son dernier film, Eyes Wide Shut, devenu culte entre autres dans le milieu libertin, à cause de ses scènes d’orgies masquées.
Non que je trouve ce film moyen, loin de là, mais je voulais rappeler que presque vingt ans avant de l’avoir réalisé, il avait engendré ce monument fantastique qui contenait déjà tous les prémices de l’univers dissolu baignant son ultime film.
Outre les grands effets classiques «Kubrickiens» que sont l’usage intensif des longs travellings et des prises de vues déformées par le grand angle, le tout soutenu par une bande-son symphonique, The Shining regorge de plans hallucinants et vertigineux qui créent une atmosphère bien plus crispante que celle d’Eyes Wide Shut et sa théorie du complot.
En cela, un des principaux personnages du film est bel et bien cet hôtel Overlook qui contribue énormément à l’ambiance oppressante qui règne tout au long du film.
Car The Shining est un des premiers films fantastiques sans réelles scènes d’horreur. Le caractère horrifique de ce film résultant plutôt de la tension sous-jacente et omniprésente qui pèse dans chaque plan, qu’on devine derrière chaque porte, chaque coin de couloir.
Rarement un film aura autant inquiété par son absence de violence physique, mais plutôt par la violence contenue dans ses silences et ses vides.
Comment rester de marbre face à ce monstre évidé, immobile et sinistre perché dans ces montagnes enneigées et totalement coupé du monde?
Comment ne pas être hanté par les kilomètres de couloirs d’épaisses moquettes constituant ce labyrinthe d’effroi, alignant des milliers de chambres plus ou moins vides aux numéros inquiétants, et débouchant parfois sur d’immenses halls fantomatiques dénués de toute vie humaine?
Et que dire de ces flashbacks surannés nous renvoyant dans la splendeur des années folles, transformant l’hôtel rococo en un Titanic flamboyant et fastueux voguant tout droit vers le naufrage?
En cela, la scène de la salle de bal est une merveille de réalisation.
L’image est passée, brumeuse et pesante, les figurants sont cireux comme des spectres, la musique de fond comme compressée à travers un filtre bardé d'échos, on sent le drame pouvant jaillir à chaque instant.
Le rapprochement est frappant avec la scène de fête au début d’Eyes Wide Shut, source de toute l’intrigue du film.
Et pour continuer dans ce parallèle, une des autres passerelles entre ces deux films pourrait être le décor proprement dit.
Imaginez un instant ce que pourraient donner les scènes de cérémonies et d’orgies au sein de l’Overlook?
Evidemment qu’on ne peut s’empêcher de comparer le château et l’hôtel comme abris de sombres instigations, réceptacles à fantasmes, et mausolées de toutes les plus viles pulsions humaines.
Et que dire du sort qui attend ceux qui tentent, par excès de curiosité, de percer le terrible secret que recèlent ces murs?
Car la tentation et l’attirance vers les ténèbres sont les véritables moteurs de chacun de ces deux films, guidant les protagonistes respectifs dans une quête effrénée et autodestructrice à la recherche de l’inavouable vérité.
En cela, je trouve que l’intrigue d’Eyes Wide Shut souffre de la comparaison avec celle de Shining, dont l’épilogue est moins convenu et plus machiavélique, ce qui lui confère d’autant plus son caractère de chef-d’œuvre absolu à mon goût…
En cadeau bonus, vous pouvez télécharger un morceau que j'ai composé en 1999 à l'aide de samples de voix de Shining:
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